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Introduction.

son école et des écoles adverses, la force et la faiblesse des unes et des autres.




Ces philosophes eurent des successeurs, panthéistes comme eux, et des adeptes peu nombreux, car seuls les intellectuels sont à la hauteur de théories aussi abstruses. Aussi le Taoïsme commença-t-il à évoluer dans un sens plus pratique, du vivant même des Pères, au quatrième siècle. Cette évolution fut rapide, durant le troisième siècle. Elle aboutit, dès le second siècle avant l'ère chrétienne, à une sorte de théisme[1], dont voici les traits principaux. — Les émanations de la nature Chenn ayant été personnifiées, le ciel et la terre se peuplèrent d'êtres transcendants non-humains, intelligents et puissants à des degrés divers[2]. — Les Tchenn, hommes montés dans les airs, en plein midi, aux yeux 十目 de nombreux spectateurs[3], avec leur corps entier éthérifié durant leur vie, se promènent à volonté dans l'espace, habitent dans les astérismes, spécialement dans le quadrilatère de la Grande Ourse et dans les constellations circompolaires, où ils forment la cour du Souverain d'en haut, appelé Suprême Un depuis l'an 113. Dans les livres taoïstes, les biographies de ces Tchenn ne se comptent pas. On parle de leur apothéose, comme d'une chose incontestable. Leur vie durera, comme celle des deva indiens, fort longtemps, l'espace d'une période cosmique et davantage, mais pas toujours. Seul le Suprême Un survit à tous les cataclysmes et existe toujours sans changemnt[4]. — Les Cheng Sages, forment un petit groupe spécial parmi les Tchenn. Ce furent des savants sur la terre. Ce sont maintenant les fortes têtes de l'élysée polaire. — Les ascètes taoïstes très nombreux, retirés dans les beaux sites des montagnes pour y vivre tranquilles, Sien hommes surélevés ou hommes des montagnes, l'équivalent des forestiers indiens[5], lesquels n'ont pas poussé l'ascétisme jusqu'à l'éthérification complète, mais qui ont conçu dans leur sein 嬰兒 l'enfant surnaturel, l'homme nouveau ; ceux-là sortent de la vie par 分尸 la division du corps, c'est-à-dire qu'un jour l'enfant s'échappe, laissant une dépouille vide, analogue à la peau d'une cigale, à la coque d'une chrysalide. Il flâne ensuite sur les hautes montages, ou habite les îles fortunées, délivré des besoins grossiers de la nature, mangeant cependant, buvant et s'enivrant même à l'occasion, subsistant durant de longs

  1. Lao-tzeu, Lie-tzeu, Tchoang-tzeu, n'ayant pas nié le Souverain d'en haut, ne furent-ils pas aussi théistes ? Je ne le crois pas. Ils affectèrent tellement de ne pas s'occuper de lui, de le passer sous silence, que leur foi dans son existence m'est suspecte. Ils ne le nièrent jamais, c'est vrai ; mais ils n'invoquèrent jamais que le Principe. Pratiquement ce furent des panthéistes.
  2. Une texte de l'an 211 avant J.C., raconte qu'un petit Chenn de montagne ou de fleuve, ne sait pas plus loin que le bout de l'an ; que les Chenn plus considérables en savent plus long, chacun selon son degré.
  3. Mes recherches ultérieures m'ont conduit à rectifier le paragraphe 10 L des Leçons étymologiques.
  4. Par définition taoïste, le Suprême Un est le Chenn du ciel, émané du k'i du ciel pris dans sa totalité. Il est donc, au fond, de même nature que les autres Chenn, et je devrais appeler le Taoïsme un polythéisme, non un théisme, dira-t-on. — Je réponds : quoi qu'il en soit de la substance qui constitue son être, les Taoïstes donnent au Suprême Un des attributs qui n'appartiennent qu'à lui, et qui le distinguent de tous les autres Chenn, assez pour en faire le Dieu suprême d'un théisme. Lui seul vit toujours, tandis que les autres périssent dans l'effondrement du cosmos. Lui seul gouverne le monde et les hommes. Théoriquement il est au-dessous du Tao, la prédétermination universelle, le fatum cosmique ; mais pratiquement cette subordination est ignorée, n'existe pas, et le Suprême Un est, dans l'opinion des adeptes, le chef de l'univers, omniscient et omnipotent.
  5. Voir mon Bouddhisme chinois, Tome I, page 53.