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INTRODUCTION.


Pour rendre intelligibles les choses, et surtout le nœud qui unit les choses en apparence disparates que contient la Patrologie taoïste, son agencement, ses divisions, sa terminologie, il me faut résumer ici succinctement les traits principaux, 1 de l’évolution doctrinale du Taoïsme, 2 de son évolution historique.


I. ÉVOLUTION DOCTRINALE DU TAOÏSME.


Les premiers Pères du Taoïsme, 老子 Lao-tzeu, 列子 Lie-tzeu, 莊子 Tchoang-tzeu, qui vécurent du cinquième au quatrième siècle avant J.C., furent des philosophes et des controversistes. Sans nier l’existence du Souverain d’en haut, aussi vieux que la Chine[1] ; sans heurter les pauvres notions de la Grande Règle[2], ils cherchèrent, plus haut et plus loin, l’origine de toutes choses. Leurs recherches aboutirent pratiquement à un panthéisme naturaliste, visiblement inspiré par les systèmes indiens contemporains[3]. — Un principe premier unique, d’abord concentré et inactif, se mit à émaner, à produire. Recueilli, on l’appelle Tao ; agissant, on l’appelle Tei[4]. — Par son émanation, le Principe produisit le ciel, la terre, et l’air entre deux ; trinôme d’où sortirent tous les êtres ; ou plutôt, binôme, le ciel et la terre agissant et réagissant comme un couple, l’air médian leur servant de matière[5]. — Le Principe habite et opère en tout. Il ne pense

  1. Les anciens livres chinois disent de lui qu’il gouverne le monde, mais ils ne disent pas qu’il le créa. La question de l’origine était donc ouverte.
  2. Document de l’an 1122 avant J.C. Voir mes Textes philosophiques, page 25.
  3. Les Upanishad. Voir mon Bouddhisme chinois, Tome I, Introduction, pages 40 à 58. Avec l’Inde, identité complète ; en Chine, innovation évidente. Les critiques chinois modernes sont toujours unanimes à affirmer, que le Taoïsme ne sortit pas de l’ancienne philosophie chinoise, mais fut élaboré par les historiographes, dépositaires des documents nationaux et étrangers. L’assertion date de loin. Elle se trouve, en toutes lettres, dans l’Index bibliographique de la première dynastie Han : 道家者流蓋出於史官. Ce texte date du dernier siècle avant l’ère chrétienne.
  4. Je me suis souvent demandé, si les deux termes chinois Tao et Tei, dont le sens taoïste n’est pas naturel mais adapté, ne seraient pas, primitivement, la translittération des mots sanscrits Tat et Tyad, l’être premier et les êtres secondaires, l’être et le reste. Je relèverai dans Lao-tzeu plus d’un sanscritisme.
  5. Il m’est pénible de constater, que certains s’acharnent encore à voir une révélation de la Trinité, dans le texte de Lao-tzeu « un fit deux, deux fit trois, trois fit tout », qui signifie, le Principe d’abord immobile (un), produisit ensuite par des alternances de mouvement et de repos (deux), le ciel, la terre, et l’air-matière (trois), d’où sont sortis tous les êtres. Je dirai, dans le Tome II de cette Série, ce que je pense, après Stanislas Julien, de ceux qui cherchent, dans les auteurs anciens, non ce qu’il y a, mais ce qu’ils voudraient qu’il y eût.