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trop parfaits. Où cette jeune Lucie a-t-elle acquis cette science de la vie, cette sûreté de jugement, toujours surprenantes à un âge aussi tendre, mais surtout dans le milieu dans lequel elle a été élevée ? Serait ce par hasard que le malheur, ce grand instituteur, lui aurait fait ses tristes révélations ? Il en est de même de Michel : pour un paysan, il a des aspirations et des délicatesses inouïes. Ce sont deux exceptions sans doute ; mais, à la rigueur, comme tout ce qu’il y a de beau et de bien, elles peuvent exister.

Nés dans le même pays, ayant partagé les mêmes jeux dans leur enfance, longtemps leur amour grandit sans qu’ils en aient conscience : le jeune homme trouvant tout naturel d’adorer une si charmante fille qui joint tous les charmes à toutes les qualités solides. Pour elle, ce qui est parfaitement naturel et bien décrit, ce sont ses luttes, ses hésitations. D’abord elle ne peut croire à son amour pour Michel. En se sentant émue, troublée, elle s’interroge. Mais non, ce n’est que de l’amitié ; il est impossible qu’elle puisse éprouver un autre sentiment pour ce beau paysan qu’elle ne peut épouser. Mais peu à peu, gagnée par son attachement si vrai et si désintéressé, ses préjugés faiblissent, et un amour sérieux et grave s’empare de son âme. En le voyant triste et malheureux, un beau jour elle fait comme Galathée en écrivant sur un banc : « Michel, je vous aime ! » À force de patience, de tact, de sagesse, elle finit par gagner ses parents qui, en voyant mourir Clarisse de désespoir, ne veulent pas sacrifier leur dernière fille, et l’accordent malgré leurs préjugés au jeune paysan qui les a secourus et aidés dans leur détresse. Elle marche donc à l’autel, la vaillante enfant ! heureuse et souriante au milieu des quolibets du village. Mme Bourdon fait épouser sa fille au bel ingénieur qui a abandonné la trop aimante, trop crédule Lise, et fait mettre son enfant à l’hospice des Enfants-Trouvés.

Six ans après, tout, dans le village de Chavagny, a bien changé. Mme Michel, plus fraîche, plus belle que jamais, a accepté sa vie de paysanne sans renoncer tout à fait à son élégance native. Tout respire autour d’elle l’aisance et le bonheur. Michel l’admire et l’aime de plus en plus, et ils n’ont rien à désirer lorsqu’ils sont entourés de leurs charmants marmots et de ceux de Gène qui est toujours l’amie préférée de Lucie. M. Gavel a continué, marié, ses habitudes de libertinage ; mêlé à une triste histoire, il est forcé de quitter la