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ferme, et Lucie, devenue une demoiselle, n’avait plus de loisirs, de jeux, ni d’insouci.

À midi, c’est la déliée. Les bœufs délivrés du joug furent amenés dans l’écurie près de quelques boites de foin, et les laboureurs prirent la collation (nom qu’ils donnent à leur repas du milieu du jour). Tandis qu’ils mangeaient, Lucie, qui cette fois n’avait pas faim, s’assit avec sa broderie près de la fenêtre. M. Bertin vint aussi pour causer. Il n’eût point admis les laboureurs à sa table, mais il se délectait dans leur conversation, sans réfléchir à cette anomalie. Assis à cheval sur une chaise, en face d’eux, la figure épanouie d’un gros rire, il se mit à gouailler Michel.

On m’en a dit de belles sur ton compte, mon gars ! Tu plantes là bien durement les filles, à ce qu’il paraît ?

— Eh quoi ! lui aussi ! pensa Mlle Bertin, avec un sentiment de surprise pénible, en levant les yeux sur la figure si franche et si douce de Michel.

Michel avait rougi et paraissait vivement contrarié. Un regard furtif qu’il jeta du côté dé Lucie rencontra les yeux de la jeune fille ; elle détourna la tête et se mit à broder avec plus d’attention.

— Vous savez m’sieur Bertin, répondit-il, que le monde aime à causer, et quand on cause trop, faut dire des bêtises.

— On dit aussi des vérités, reprit M. Bertin. Pourquoi diable es-tu sorti de chez les Martin avant la Saint-Jean ?

— Dame ! je l’ai déjà dit à tout le monde, et je veux bien encore vous le dire à vous, m’sieur Bertin ; c’est que je m’ennuyais du pays.

— Bah ! le mal du pays t’y a bien laissé pendant près de trois années ! Ce n’est pas pour trois mois de plus ou de moins qu’un garçon raisonnable comme toi rompt ses engagements.