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à Aurélie, certes elle trouverait par trop inconvenante une pareille communication, et elle arrêterait Lucie dès les premiers mots. Le parti le plus naturel en apparence était de s’adresser à Mme Bourdon ; mais cette femme si aimable, si mielleuse, si parfaite, comme disait la bourgeoisie du pays, inspirait à Lucie une défiance instinctive. — Je consulterai ma mère, se dit-elle enfin, et reprit sa route. Mais elle ne fut guère soulagée par cette résolution, car elle sentait, sans se l’avouer, que le jugement de Mme Bertin ne pouvait être admis dans l’ordre des faits réels et tangibles. En effet, après la confidence de Lucie, Mme Bertin déclama longtemps contre les perfidies et les lâches trahisons des hommes ; ensuite elle déclara que c’était délicat ! très-délicat !… et finit par conclure qui fallait attendre… qu’on verrait… qu’il était dangereux de se faire de puissants ennemis… que parfois de terribles vengeances… M. Gavel ne pourrait-il pas provoquer Gustave, et venger dans le sang du frère l’injure faite par la sœur ? Enfin, combien n’avait-on pas vu de femmes vertueuses changer le cœur de leurs maris ! Cela même arrive presque toujours. Et pourquoi donc Aurélie ne ferait-elle pas ce miracle aussi bien que la comtesse d’Ostalis ?

Toutes ces considérations n’apaisèrent pas les perplexités de Lucie ; mais, ne sachant que résoudre, et retenue par une timidité insurmontable, elle attendit.

Le lendemain, dès l’aube, deux charrues conduites par Cadet Mourillon et par Michel entraient dans la cour de M. Bertin, suivies du petit François qui portait sur son épaule un long aiguillon. Lucie en bonnet de nuit et les épaules couvertes d’un petit châle, fraîche comme une fleur humide de rosée qui s’ouvre aux rayons du matin, servit aux laboureurs une soupe accompagnée de fromage et arrosée de piquette, repas ordinaire et trop frugal du travailleur. Puis, au lieu de les quitter aussitôt, Mlle Bertin