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— Mais nous ne sommes pas des paysans, nous, ma pauvre petite. Nous n’en sommes, il est vrai, que plus malheureux ; mais enfin, puisque nous avons un rang, il faut bien le tenir.

— À quoi bon, maman, si, au lieu d’avantages, ce rang ne nous procure que des peines ? Pourquoi rester dans une situation mauvaise quand il se trouve des moyens honnêtes et faciles d’en sortir ? Je te l’ai dit souvent, si nous avions un porc à l’étable, cela nous fournirait de la graisse pour toute l’année, et de la viande souvent. Avec une chèvre, nous aurions du lait et des fromages. Nous pourrions encore… Sais-tu combien la Françoise a vendu son troupeau de dindons cet hiver ? Cent vingt francs, maman !

— Eh ! qu’est-ce que cela nous fait, ma pauvre Lucie ? Ne sais-tu pas, toi, combien de peine il faut prendre pour ces bêtes-là. En les nourrissant au grain, ils coûteraient plus chers qu’on ne pourrait les vendre. Tu ne voudrais pas, apparemment, comme la Françoise, les conduire dans les champs après la moisson, ni dans les prés manger des sauterelles, ni ramasser, l’hiver, le gland des chênes dans les bois ? Ah ! si nous vivions dans un désert, à la bonne heure ! oui, dans le désert, loin des hommes, nous serions moins infortunés ! La paix, la vertu, les fruits de la terre suffiraient à notre innocente vie, et les soucis de l’orgueil, les tourments de la vanité n’approcheraient point de notre cœur !

Elle soupira profondément, puis elle reprit :

— Un porc, une chèvre, c’est bien ! mais qui nettoierait les étables, puisque nous ne pouvons point avoir de serviteurs ? Tu sais bien que ton père ne toucherait pas à cela. Quant à toi, ma pauvre enfant, tu ne fais déjà que trop de choses indignes de ton rang. Croirait-on, à voir tes mains, que tu es d’illustre naissance ? Nous ne sommes plus au temps où les princesses pouvaient, sans déroger, garder les troupeaux.