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— Pourquoi, Lucie ? je vais te le dire. D’abord on se met d’une manière irrévocable au ban de l’opinion. Réfléchis un peu quelle situation ce peut être pour une femme qui ait la moindre pudeur et la moindre dignité, que de se voir vouée au mépris public, et, lorsque les enivrements de la passion sont évanouis, de se trouver seule, sans compensations, aux prises avec les amertumes d’une destinée qu’elle s’est faite par sa faute, en dépit du monde et de sa famille.

Oublies-tu combien la femme dépend de l’opinion, et qu’elle en dépend surtout absolument dans l’acte de son mariage ? Cet acte, vois-tu, contient son sort tout entier. Par lui, elle peut s’élever, se relever même de fautes passées, ou s’abaisser à jamais. Lucie, dans la situation où tu es, je puis tout te dire. Eh bien, non-seulement la fortune et le rang, mais la dignité, l’honneur et la vertu d’une femme dépendent de l’homme qu’elle épouse et de la place où il la fait asseoir. On a vu sur le trône, mon enfant, des femmes de mauvaise vie, devant lesquelles le monde entier se tenait à genoux ; tandis que la pudeur et la vertu des femmes du peuple, à quoi cela importe-t-il, et qu’a-t-on même besoin de savoir si elles en ont ?

— Vous me peignez un monde sans moralité, dit Lucie ; pourquoi lui sacrifierais-je le moindre de mes sentiments ?

— Pourquoi ? Pour toi-même, parbleu ! Vivre ou ne pas vivre, il me semble que c’est la question.

— Oui, pour qui vit d’orgueil, répliqua-t-elle. Mais je préfère vivre d’amour.

— C’est cela ! s’écria-t-il en se levant et en faisant quelques pas dans le bosquet, la marotte de la sentimentalité, dont les femmes prétendent s’armer contre nous, et dont elles ne font que s’assommer elles-mêmes ! Et qui veut t’empêcher d’aimer, ma pauvre enfant ! Ce n’est pas