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grandit sans cesse, et quand même je vous aime toujours de tout mon cœur, je vous aime toujours davantage.

Ils s’étaient arrêtés à l’ancien passage de la haie, fermé d’une palissade par M. Bertin. Michel enlevant Lucie dans ses bras, la passa de l’autre côté ; puis, à son tour, il sauta par-dessus. Ils se retrouvaient dans le cher bosquet, mais dépouillé de ses feuilles et de son mystère. Cependant ils s’y arrêtèrent encore, ne pouvant se quitter déjà. Un vent piquant soufflait autour d’eux ; mais ils n’avaient pas froid ; les mains de la jeune fille étaient emprisonnées dans celles de Michel, et l’amour et la joie circulaient dans leurs veines.

— Si vous saviez, disait-elle, comme je me suis sentie heureuse, quand, laissant derrière moi les toits de la ville, je me suis trouvée en rase campagne au sommet du plateau. Il n’y a pas de feuilles aux arbres, ni de verdure sur la terre, ni de soleil ; mais qu’importe ? Je retrouvais ma chère nature, belle et sauvage comme toujours. Les étrangers seuls, Michel, sont rebutés par son triste visage, l’hiver ; nous qui l’aimons, nous l’admirons toujours. Plus de murailles enfin devant moi ; c’était un immense espace ; des champs et des pâturages, avec des bois pour horizon. Une fumée seulement s’élevait de la fente d’un ravin. On voyait dans les prés de grandes flaques blanches glacées, et dans les champs une raie de glace serpentait entre chaque sillon. Pas un pauvre petit oiseau ; seule, une vieille pie mécontente grommelait dans un arbre noir. Eh bien, Michel ! pourtant, j’ai senti mon cœur se gonfler de tendresse et d’enthousiasme, comme un exilé qui retrouve sa patrie.

— Je le vois bien, ma Lucie, vous êtes née pour être paysanne. Mais quelle paysanne vous ferez, mon Dieu ! Est-ce que vous ne trouvez pas que votre Michel a trop de bonheur ?