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lui avaient inspiré la résolution de partir. À présent, il ne songeait plus à quitter Chavagny ; mais quand les jeunes gens de son âge, ou même les commères les plus délurées, lui adressèrent d’ironiques félicitations, il leur imposa si rudement silence, de la parole ou de la main, qu’on le laissa tranquille. On ne s’en vengeait que mieux sur Mlle Bertin. Elle ne sortait plus guère, et quand son père, avec son inconsistance habituelle, voulait quelquefois l’emmener dans le village, elle s’y refusait.

La seule personne qui prit la défense de Lucie, fut Gène Bernuchon. Elle accueillit avec une indignation extrême toutes les imputations dirigées contre son amie, et plus d’une fois même la discussion l’émut jusqu’aux larmes.

Il n’y avait point eu de confidence entre les deux jeunes filles. Quand Gène était venue visiter Mlle Bertin, elles s’étaient embrassées avec effusion, et avaient rougi plus d’une fois en se regardant ; mais, par une timidité commune, elles avaient évité le sujet qui les occupait le plus.

Le dimanche qui suivit les secrètes fiançailles de Lucie, Gène, après la messe, alla chez les Bertin. Elle avait ce jour-là son petit air le plus modeste et le plus pénétré, ce qui n’empêchait pas l’éclat des beaux soleils de se refléter dans ses yeux noirs et sur ses joues vives. Elle embrassa Lucie en la serrant bien fort, puis, la regardant ensuite, elle fut si frappée de l’expression radieuse de ce visage, où elle s’attendait à trouver la tristesse, qu’elle se troubla profondément.

Elles allèrent ensemble dans la prée, et quand elles eurent parlé de beaucoup de choses dont ni l’une ni l’autre ne se souciait, Gène dit :

— Vous n’allez donc pas aujourd’hui chez M. Bourdon ?

— C’est à cause de moi que mes parents y renoncent, répondit Lucie, et je suis trop heureuse de ton arrivée ;