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distance du village, que se trouve la maison des Bourdon, appelée le Logis, belle et spacieuse demeure, bâtie en 1770 par l’aïeul des Bourdon, celui dont on parle, qui fut membre de la Constituante et qui périt sur l’échafaud en 93. Il avait cinq enfants : de ses trois fils, un seul échappa aux guerres de l’Empire et devint juge à Poitiers ; quant à ses deux filles, Mmes Grimaud et Bertin, la première était morte sans enfants, l’autre s’était mariée avec un notaire des environs, qui, après avoir dissipé sa fortune en spéculations maladroites, avait vendu son étude et était venu se fixer à Chavagny, dans une petite propriété attenante au village, dot de Mme Bertin, et qui maintenant composait leur seul avoir. Fortuné Bertin, leur fils unique, s’y éleva joyeusement au milieu des petits paysans de Chavagny. Il n’eut d’autres leçons que celles du maître d’école ; mais ses parents y joignirent l’histoire détaillée des faits et gestes de son grand-père et s’attachèrent à lui imprimer l’idée de la dignité de son rang. Son éducation littéraire ne fut pas complétement négligée ; il lut Ducray-Duminil, Delille et Pigault-Lebrun. À vingt ans, par la mort de ses parents, Fortuné Bertin se trouva possesseur d’une vieille maison, d’un petit jardin et de six arpents de terre. Il n’avait jamais manié la bêche ni la charrue ; un Bertin ne le pouvait. Il se fût donc royalement ennuyé si au goût de la poche, son amusement favori, ne s’était joint un goût plus vif pour la fille du médecin du village. Ce médecin était un chirurgien retraité, pourvu d’une petite pension viagère, et qui se consolait des malheurs de l’Empire en buvant sec et en jouant à l’écarté. Sa fille, toujours seule, se désennuyait en lisant des romans, car elle avait perdu sa mère de bonne heure, et elle savait à peine raccommoder ses bas. Ils se marièrent et eurent trois enfants : Clarisse, Gustave et Lucie. À l’époque où nous nous trouvons, en 1845, Gustave,