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une sorte de terreur, elle n’eût pour rien au monde manqué à la confiance que Michel mettait en elle. Mériter l’estime de cette âme énergique et pure lui semblait un devoir. D’ailleurs, elle souffrait dans sa conscience de garder un tel secret. Elle résolut donc de s’acquitter le plus tôt possible de cette tâche pénible, et aussitôt après le déjeuner elle partit pour le logis.

C’était grande fête encore à Chavagny ce jour du lundi de Pâques, plus grande fête même que la veille, car le bon Dieu en avait assez d’autres, tandis que la jeunesse de Chavagny n’avait que celle-là. On n’entendait plus le carillon des cloches, mais les accords du violon ; et quand Lucie traversa la place publique vers onze heures, quoique rassemblée ou ballade ne commençât guère avant midi, déjà quelques groupes de filles et de garçons, et beaucoup d’enfants, dansaient aux préludes d’un violonneux monté sur une barrique.

De onze heures à midi, quand il faisait beau, Aurélie, bien gantée, enveloppée d’un châle et coiffée d’un chapeau, se promenait invariablement dans les jardins. Lucie espéra donc ne rencontrer à cette heure ni sa cousine ni M. Gavel, qui l’accompagnerait sans doute. Elle trouva, en effet, Mme Bourdon seule. Enveloppée dans son châle du matin et trottant magistralement à travers les corridors, de la salle à manger à l’office et à la cuisine, pour surveiller les opérations du ménage, la ronde petite femme semblait une boule en rotation. Sur la demande que lui fit Lucie d’un entretien particulier, l’air de contentement de soi épanoui sur sa figure céda la place à un air important et solennel moins en accord avec ses formes sphériques. Elle conduisit Lucie dans sa chambre à coucher, et, s’asseyant sur un fauteuil tandis qu’elle montrait à sa nièce une chaise basse, elle prit, pour écouter, l’air d’un président au tribunal.