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pierres moussues. Les charrettes n’y passent point, et les gens non plus n’y entrent guère, à cause qu’il est hanté, dit-on, par le loup-garou. Pourtant, si l’on raisonnait un peu la chose, on n’y craindrait rien en plein jour. Mais on n’aime point ce chemin-là.

Mlle Bertin s’assit sur une pierre, et, courbant sa tête dans ses mains, elle s’abandonna au besoin de pleurer. Le silence régnait autour d’elle ; à peine entendait-on d’en bas le bruit de l’eau sur les cailloux.

Au bout d’un quart d’heure environ, elle se leva pour continuer sa route. Mais, n’étant point encore assez calme pour se risquer à être vue, elle resta quelque temps debout à la même place, fixant à terre ses yeux rougis, et cherchant des pensées moins tristes. — Que l’herbe épaisse est belle au fond des chemins creux ! se dit-elle. Ces pierres ne semblent-elles pas vêtues d’un beau velours vert aux nuances dorées ? Du velours ! Eh ! pourquoi dire ainsi ? Le velours est-il plus riche que la mousse ? Non, car il se fane aisément et se détruit, tandis que cette mousse, un instant foulée, va se relever et continuer de croître. Ah ! le vrai luxe, la vraie richesse, la vraie beauté sont dans la nature ! Que Jeannette Barbet vienne s’asseoir ici, elle aura un salon plus beau que celui de Mme Gavel. Et cependant, n’est-ce pas pour couvrir sa chambre et soi-même d’étoffes de soie et de velours que quinze mille francs de rentes sont nécessaires ?

Cet amour effréné d’une richesse inutile et, malgré tout, mesquine lui parut alors une maladie de l’espèce humaine. De même que la pluie développe les germes de la terre, de même les larmes semblent féconder l’esprit. En ce moment la pensée de cette jeune fille déchira l’enveloppe du monde étroit où ses parents l’avaient nourrie des miettes moisies d’un autre siècle, et, les yeux attachés sur la nature éternellement vivante et inépuisable, elle