Page:Leo - Marie - la Lorraine.djvu/12

Cette page n’a pas encore été corrigée

sissait comme expert, surtout en fait de bétail, où il se connaissait comme pas un autre. Les bourgeois le saluaient amicalement, et beaucoup le citaient en exemple à leurs métayers ou fermiers, à seule fin de leur prouver qu’il suffit, pour s’enrichir, de bien travailler. Mais ce n’est pas tout, pourtant. Ils oubliaient d’abord que Chazelles avait eu par la dot de sa femme une grosse avance, que bien peu d’autres ont la chance d’avoir ; puis encore cette autre d’un propriétaire bon enfant, qui ne l’avait pas tourmenté et lui avait accordé maintes facilités.

Jérôme, l’aîné des garçons à la maison (car Jacques avait encore dix-huit mois de service à faire), Jérôme avait vingt-cinq ans et laissait se marier avant lui son frère Justin, fiancé depuis longtemps à une fille du voisinage. François, le quatrième, venait d’atteindre sa majorité ; Marie avait dix-neuf ans ; Annette seize, et Pierre dix à peine. On disait des trois derniers, que c’étaient les plus beaux de toute la famille, et qu’il était dommage que maîtresse Chazelles se fut arrêtée en si bon train. Elle ne manquait jamais, à cette occasion, de rappeler la perte du plus beau de tous, disait-elle, et si avisé ! son petit Paul, celui qui venait après Annette, et qui aurait eu treize ans maintenant. Alors, elle portait à ses yeux le coin de son tablier ; car la mort, si puissante qu’elle soit, ne peut arracher les enfants du cœur des mères, et c’est toujours l’absent qui reste le meilleur et le plus chéri. Mais elle n’en était pas moins, la bonne mère Chazelles, heureuse et fière des vivants. Je crois que pas un garçon ne regardait d’un œil plus charmé qu’elle-même ses deux jolies filles, Marie surtout, pour laquelle son cœur était plus ému, parce que celle-là était déjà bonne à marier et ne manquait pas de courtisans. Et le père Chazelles, croyez-vous qu’il fut moins fier de ses enfants que la mère, parce qu’il ne voulait pas en avoir l’air ?

ANDRÉ LÉO

(À suivre.)