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Je n’oublierai jamais le regard qu’il me lança. On y lisait clairement que l’amour-propre et l’amour de la propriété peuvent pousser un disciple de Voltaire à d’aussi grands excès que ceux du fanatisme religieux.

— Je défendrai jusqu’au bout ma propriété et ma famille, me répondit-il, plaçant naïvement en premier lieu ce qui l’occupait le plus. Je ne commettrai point la lâcheté de céder à ces brigands. Si vous avez peur, je me charge des deux fusils.

Sans me fâcher, je haussai les épaules et pris le fusil d’Anténor :

— Je défendrai, lui dis-je, votre famille que vous mettez en péril pour un peu d’argent ; quant à tirer sur des hommes qui demandent du pain, je ne le ferai pas.

En même temps, je le quittai pour aller voir ce que devenait Édith. Du bas de l’escalier, j’entendis sa voix. Elle parlait aux assaillants ; on avait cessé d’ébranler la porte. Je courus me placer auprès d’elle, à la fenêtre de l’escalier donnant sur la cour, et je contemplai la foule. Il y avait sur tous ces visages bien plus de malheur que de colère ; quelques-uns avaient l’air égaré, quelques-uns baissaient la tête. Deux ou trois criaient et gesticulaient ; et j’aperçus dans les groupes Leyrot qui, son fusil sur l’épaule, tâchait de leur persuader de battre en retraite.

— Je vous en prie, disait Édith — et je ne vis jamais expression plus noble, et plus touchante — je vous en prie, songez aux suites de tout ceci : je connais bien mon père ; il ne cédera pas à la menace. Il y aura donc, si vous persistez, de grands malheurs, et quand même vous seriez vainqueurs et que vous pourriez emporter