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guer les domestiques. C’était à grand renfort des expressions les plus vives, et il s’efforçait de faire sentir à ses auditeurs, aussi vivement qu’il en était convaincu lui-même, que la propriété est ce qu’il y a de plus nécessaire au monde : Ces insensés fauteurs des plus honteux désordres, s’écria-t-il en finissant, voudraient qu’il n’y eût plus de maîtres. Et que deviendraient les domestiques, je vous le demande ?

La cuisinière se prit à pleurer en disant que c’était bien vrai, et que pour elle, elle prendrait plutôt sa broche à rôti pour empêcher ces gueux de toucher à sa cuisine. Jean assura qu’il ne souffrirait pas qu’on fît du mal à monsieur ni à ces dames ; le jardinier regrettait fort, je crois, de n’être pas au jardin ; il faisait cependant assez bonne contenance.

Rouge jusqu’à la racine des cheveux, les yeux hors de la tête, M. Plichon se mit alors, avec une activité fébrile, à distribuer à chacun son arme ou son emploi. Gonde eut pour fonction de fondre des balles. Comme il décrochait deux vieux fusils pendus à la cheminée :

Vous, me dit-il, William, vous prendrez celui d’Anténor. Ah ! s’il était là !

Je tirai M. Plichon à part et lui représentai que, malgré ses armes et son courage, l’issue de la lutte était fort douteuse, vu le nombre des assaillants. Les portes pouvaient à la fin céder. Excités par la résistance, ils pouvaient se porter aux derniers excès. Ce qui rendait ces gens agressifs et furieux, c’était la faim ; on pouvait donc les satisfaire en livrant le blé, et ce sacrifice peu grave préservait des malheurs les plus terribles.