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brutale de son amant. Elle seule aimait, elle aimait avec passion… je comprends la passion, et c’est étrange ; car il me semble que je n’aimerai jamais.

« Je vivrai toujours seule, de peur d’épouser quelque autre Rocheuil plus hypocrite que le premier. Mais j’ai parfois des heures de rêverie où cette résolution me cause une tristesse extrême ; une si longue solitude me glace, et je me sens, dans ces moments-là, comme attirée vers une autre patrie, où l’on pourrait s’aimer sans s’avilir.

« Entre mon aspiration et l’amour de ce monde, il y a un abîme. »

Troisième fragment : « Je sortais dans le jardin quand mes pigeons sont venus voleter autour de moi, et je suis allée leur chercher du sel, dont ils sont friands. Après avoir mangé dans ma main, ils se mirent à becqueter les grains tombés sur ma robe étalée autour de moi ; je les regardais. Le mâle tournait en roucoulant autour de sa femelle et j’admirais les belles nuances de sa gorge. Ils se prirent à se baiser. — Moi j’attendis, pour me relever, qu’ils eussent cessé leurs caresses, car il m’eût semblé faire, en les chassant, une action aussi stupide que si j’eusse renversé leur nid. Mais tout à coup une grosse exclamation retentit ; c’était la voix de mon père. Il frappa dans ses mains et les pigeons s’envolèrent.

« — Vous devriez rougir de honte, me cria-t-il en passant, furieux.

« Étonnée d’abord de sa colère, à mon tour, elle m’indigna. J’ai longtemps réfléchi à cela et j’arrive à cette conclusion, que les hommes trouvent sans doute la nature impure à cause de leur propre impureté.