Page:Leo - Les Deux Filles de monsieur Plichon.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et l’exercice au grand air, vous auriez dû les lui faire aimer.

Je n’osai la suivre, je sentais bien qu’elle ne voulait pas.

16 décembre.

Elle ne comprend pas ma situation. Elle croit sans doute que sa sœur m’aime réellement, que je pourrais encore être heureux avec elle. Elle croit que nous pouvons vivre ainsi, elle et moi, côte à côte, et séparés à jamais. Elle m’évite cependant. Je ne l’ai rencontrée qu’une fois, au lit de mort du pauvre vieux, et quelques instants avant de s’éteindre, il nous a parlé comme on parle à deux fiancés, presque à deux époux. Était-ce un rêveur ? était-ce un voyant ?

Ma porte ouvre sur le corridor à dix pas de la sienne. Je ne vis pas en moi ; j’ai l’oreille tendue sans cesse, je ne suis plus chez moi dans cette chambre et ne me trouverais à ma place que sur le seuil. Deux heures par jour, je la vois et je l’écoute ; mais elle s’efforce alors d’être à tous et nous ne pouvons causer. Quand parfois nous sommes seuls ensemble, nos âmes s’enlèvent à une même hauteur, d’où elles dominent toutes choses et s’entendent délicieusement. Son contact à elle seule produit ce phénomène et je ne suis avec tout autre que la moitié de moi-même…

J’ai entendu son pas dans l’escalier, je suis sorti. Elle a rougi en me voyant et d’un ton de gaieté quelque peu forcée :

— Vous allez à la promenade, m’a-t-elle dit ; j’en viens.

— Puisque tel est votre désir, lui répondis-je.

Elle marchait toujours et je la suivais ; nous nous trouvâmes ainsi à la porte de sa chambre.