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adorable femme de cet être splendide. Ce beau regard, autrefois si fier, s’est adouci ; sa voix a des inflexions nouvelles qui me font frémir le cœur. Elle ne dédaigne plus de se mêler à la conversation, même quand le sujet en est futile, et de grandes remarques lui sont inspirées parfois par de petites choses ; mais elle les formule du ton le plus simple et son accent demande à ceux qui l’écoutent : — Ne trouvez-vous pas ? Quand on discute sa pensée, elle l’explique avec une clarté saisissante, et si la discussion s’échauffe et se prolonge, elle détourne l’entretien. Son but n’est plus d’affirmer seulement, mais de faire réfléchir, et elle entre résolument dans cette voie d’amour et d’utilité qu’elle vient de se tracer à elle-même. Si peu marqué encore que soit ce changement, il étonne la famille et l’on en cherche la cause. Moi seul la sais, et j’ose à peine me la dire tout bas : Elle est ainsi maintenant parce qu’elle m’aime ! C’est à devenir fou de délices et d’orgueil !

— Oui, si le bonheur était fait pour moi.

Il n’y a que Forgeot pour qui elle reste sévère et froide, et elle a raison ; cet être-là est faux des pieds à la tête et a complétement oblitéré en lui, à force de rhétoriser, toute vérité d’appréciation. Il a osé lui adresser des compliments et ne s’est attiré qu’une méprisante réplique.

Elle a aussi vaincu sa froideur pour son père. Ce matin, il était souffrant et n’a pas déjeuné. On lui apporta une infusion de feuilles d’oranger qu’on déposa bouillante sur la cheminée, autour de laquelle nous étions groupés. On causait, ce breuvage était là depuis longtemps et allait devenir froid, quand Édith, prenant la tasse, la