Page:Leo - Les Deux Filles de monsieur Plichon.djvu/269

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous entrions dans la plaine, où paissent les vaches et les grands bœufs roux, quand nous vîmes ce pauvre groupe affaissé contre la haie, cette femme le sein nu et pendant, qui, la tête baissée, le front pâle, révélait par son attitude l’abattement du désespoir, et sur ses genoux ce petit enfant, dont la faible plainte, s’exhalant par intervalles, semblait le tintement d’une agonie. Nous allâmes à eux. Soit étreinte de la douleur, soit épuisement, la femme chercha vainement un peu de voix pour nous répondre, mais par un geste saisissant, elle nous montra son sein vide, et l’enfant qui râlait. Oh ! le regard d’Édith ! le mouvement à peine indiqué, mais sublime, par lequel, dans un élan aussitôt réprimé par la pensée, elle toucha son sein de vierge en regardant l’enfant ! Puis, elle jeta les yeux autour d’elle cherchant du secours, et, comme j’allais courir à la maison, dont nous étions encore à plus de dix minutes, je la vis passer devant moi, rapide comme un trait, arriver au milieu du troupeau qui paissait et s’arrêter près d’une vache, derrière laquelle elle s’agenouilla. Elle avait passé le bras dans la jambe de l’énorme bête, et malgré la résistance que celle-ci lui opposait en marchant et se secouant, elle avait déjà fait jaillir une cuillerée de lait dans la paume de sa main, quand arrivant, je saisis la bête par les cornes. J’avais sur moi une de ces petites tasses de cuir que portent les chasseurs ou les touristes pour boire aux fontaines ; je la remis à Édith qui la remplit, et nous revînmes en courant près des pauvres affamés, à qui nous partageâmes le contenu de la coupe. C’est tandis qu’elle épanchait ainsi goutte à goutte le blanc liquide sur les lèvres de l’enfant