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— C’est difficile à exprimer, reprit-elle. J’aimais à être avec lui, à l’entendre exprimer ce qu’il sentait, mais lorsqu’il me demandait ces marques d’amour qui engagent… baisers ou serments, instinctivement je me rejetais en arrière ; quelque chose me retenait. Plus il devenait exigeant, plus cette répulsion acquérait de force. Je ne réfléchissais pas que j’avais tort, que je voulais me servir de lui pour éclairer ma route, sans lui rien donner, que j’abusais du sentiment, sincère à sa manière, qu’il avait pour moi. J’ai compris cela depuis ; mais quelle folie ont les hommes de faire peser sur des êtres à peine sortis de l’enfance, les soins et les intérêts les plus graves ! Peu à peu, dans mes entretiens avec M. Alfred, je connus tout l’esprit du monde sur l’amour, le mariage et la condition des femmes. À travers son amour et sa politesse, je vis pourtant qu’il partageait les opinions de mon père, que je croyais exceptionnel sur ce point. Je vis clairement qu’il ne prisait en moi qu’une chose, la beauté qu’il me trouvait, me tenant quitte de tout le reste, sauf de l’esprit de douceur et de soumission que je n’avais pas. Je le vis lui-même, tel que depuis j’ai trouvé presque tous les hommes, fat, irréfléchi sur toutes choses vraiment sérieuses, plein d’un orgueil faux, et parfaitement égoïste. Dès lors, ses prétentions m’indignèrent, et je ne m’attachai plus qu’à le dégoûter de moi en me faisant bien connaître à lui. Nous eûmes ensemble sur le chapitre des droits et des devoirs les querelles les plus animées. Il me railla, je le persifflai. Nous étions fort mal ensemble déjà, quand, sur ce mot fameux, qu’emporté par la colère, il osa me citer : la femme n’est bonne qu’à