Page:Leo - Les Deux Filles de monsieur Plichon.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une femme ignorante, ambition de borgne qui cherche un royaume d’aveugles, affaire de sottise et de vanité ; mais je ne puis comprendre qu’aucun motif honorable pousse un homme à se priver d’une compagne intelligente dans cette éternelle conversation du mariage.

Au fond des opinions de M. Plichon sur cette matière, il y a son ressentiment contre la fille terrible, qu’à ce qu’il croit, les livres lui ont faite ; car, selon les idées qui dominent encore généralement, il n’accorde rien à la propre nature de l’être nouvellement apparu en ce monde, et que l’idée chrétienne, prolongée par Rousseau, déclare bravement créé de rien. Certes, Édith et Blanche ne peuvent s’approprier les choses de la même manière ; mais j’essayai vainement de faire comprendre cette vérité à M. Plichon. C’est un vieil enfant, que mènent tour à tour l’amour-propre et le préjugé ; il avait dit non, et n’en voulait pas démordre, et prétendait avoir raison, par acte d’autorité, sinon autrement.

J’avoue que cette obstination me parut insupportable, et, pour ne pas éclater, après un dernier argument de sa part, cassant et stupide, je m’arrêtai tout à coup en feignant de contempler un nouvel insecte, un de ces beaux scarabées dorés, couleur d’émeraude, qui, le pauvret, sentant mon regard, courait éperdu de côté et d’autre. Mes trois compagnons, ayant continué leur marche, se trouvaient assez loin de moi, quand au bout d’un moment Clotilde vint me rejoindre.

— Ce que femme veut, Dieu le veut, me souffla-t-elle à l’oreille, et M. Plichon est un Dieu à cet égard-là. Voyez le tableau. Votre grâce va être accordée.