Page:Leo - Les Deux Filles de monsieur Plichon.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que le monde sache ou ne sache pas que nous nous aimons, nous le savons, nous. Ah ! pour le monde entier, ne l’oublions jamais.

Elle fut très-surprise et tout émue du ton dont je parlais ; réellement j’étais stupide. Je lui en voulais de ne pas être au diapason où j’étais moi-même. C’est l’éternelle querelle humaine, la seule au fond. Nous sommes tous montés à mouvements inégaux, et ces dissonances qui nous désespèrent ne sont que des questions de temps, heures ou siècles. — Mais l’amour est la rencontre de deux êtres en accord. — Bah ! l’absolu toujours, j’extravague. Et le charme des différences ? Vais-je désirer le sommeil des béatitudes ?…

Que disais-je ?… Écoute : je ne sais pourquoi, mais jamais, à aucune époque de ma vie, je n’ai senti un tel besoin de bien entendre ce qui se passe en moi, de saisir ce qui existe chez les autres, d’analyser, de comparer, de savoir enfin. J’ai sur le moment une mémoire très-vive, mais où plus tard les détails s’effacent. Ici, dans ma chambre, où je suis seul et sans livres, j’aime à fixer mes impressions en t’écrivant. Car de m’écrire à moi-même, ma foi, je ne le ferais probablement pas ; on a plutôt fait de penser ; mais la forme nous est nécessaire pour voir, et la rectitude de ces petits caractères noirs, et celle de la phrase, forcent la pensée à se dégager, l’éprouvent, la corrigent. Enfin, je vois mieux ce qui s’est passé quand je l’ai écrit. Je continuerai donc à t’envoyer ces in-folio qu’il t’est permis de ne pas lire, et qu’il m’est venu à l’idée de griffonner à ton adresse, sachant que tu conserves mes lettres et que tu es en tout ce qui me