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Elle supporta, d’une apparence calme, tout ce qu’on dit devant elle des apprêts du mariage ; elle avait compris déjà combien d’écueils l’entouraient, que sa position d’institutrice la rendait serve de toutes les malignités, et la forçait d’être insensible et inattaquable, si peu que désormais elle eût de cœur à la vie, et il lui fallait garder son pain, sinon pour elle-même, du moins pour sa mère. Elles étaient invitées aux noces et n’avaient pas dû refuser. Mais il arriva, la veille au soir, au jardin, qu’une grosse pierre roula sur le pied de Sidonie. Elle déclara ne pouvoir marcher, enveloppa son pied de compresses et se tint à demi couchée. Et, tandis que la classe envolée courait voir le beau mariage, elle put rester seule et s’abandonner à quelques larmes, tandis que tintaient les cloches joyeuses, son glas à elle.

À dater de ce moment, l’insoucieuse gaîté de la jeune fille, que n’avaient pu vaincre ses précédentes épreuves, l’abandonna. Elle sentait sa jeunesse condamnée. Elle pressentait que l’amour, la maternité, destinée commune de toutes les femmes, ne pouvaient être pour elle qu’un hasard, une exception sur laquelle il ne fallait pas compter. Elle continua passivement cette vie morne de tous les jours, qui ne lui fournissait rien où se prît son cœur, excepté pourtant la solitude, quand, le soir, dans sa chambre, avant de s’endormir, elle pouvait regarder en elle-même et pleurer encore, Elle évita l’intimité du jeune ménage Moreau, et ne cessa pourtant de penser à Ernest, ou plutôt ce fut pour cela même. Elle ne pouvait se résoudre à faire son cœur vide. Un sanglot lui gonflait le cœur