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— Ma chère, disait-elle, vous gâtez vos mains. Comment pouvez-vous travailler tant ? Je ne sais comment vous faites.

Et, quand elle ne parvenait pas à entraîner Sidonie à la promenade, elle s’éloignait en boudant.

Une autre gêne, c’était d’être exposée aux regards dans ce jardin, qui, de deux côtés, n’avait pour clôture que des haies d’aubépine, dont les feuilles luisantes sortaient à peine du bourgeon. Les préjugés du riche sont adoptés et soigneusement cultivés par le pauvre. Le pas qui retentissait dans le sentier cessait tout à coup de se faire entendre, et une voix montée sur le ton de la compassion s’écriait :

— Eh donc ! mamzelle, c’est vous qui piochez vot’terre ? Faut il !… Ça doit bien vous fatiguer !

Sidonie avait beau s’interrompre et dire d’un air insouciant :

— Oh ! non, pas du tout ; je ne fais que les semis.

On observait qu’elle était bien rouge, et que les journaliers étaient chers. Volontiers, le paysan se venge sur le bourgeois pauvre de l’insolence des riches.

Il y aurait eu pour Sidonie et sa mère un moyen de ne pas souffrir de ces piqures, c’eut été d’abdiquer toute prétention à une suprématie de rang. Mais elles n’avaient garde d’y songer.

Et pourtant, ce n’était pas du côté du sentier fréquenté que les yeux de Sidonie se portaient le plus souvent, mais vers la haie qui séparait le jardin des prés Moreau.

ANDRE LÉO

(À suivre)