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avoir pris le matin son café au lait, il allait d’un pas lent jeter çà et là le coup d’œil du maître et donner son avis sur le travail ; il approuvait assez rarement, se fâchait quelquefois, et enfin se rendait au café de Loubans pour prendre la goutte et fumer une pipe avec les amis. Il revenait ensuite déjeuner chez lui, et quand il n’avait pas quelque course d’affaires, d’habitude il partait pour les Saulées, situées à une demi-lieue environ, dans un repli du coteau, au bord de l’Ysette, et non loin de la gare du chemin de fer.

Aux Saulées, Deschamps faisait la partie de trictrac du vieux Pontvigail, qui, vainqueur ou vaincu, lui versait rasade ; et le soir enfin il s’en revenait chez lui, où scrupuleusement, après le souper, il écrivait, d’une belle écriture dont il était fier, le compte des seaux de lait traits et vendus dans la journée.

Cet emploi de comptable rehaussait extrêmement Deschamps à ses propres yeux ; il le considérait comme une profession libérale, et celui de factotum allait à merveille aussi à ses instincts parasites et flâneurs. En conséquence de ces goûts élevés, il n’avait pas voulu que ses filles s’occupassent des travaux de la ferme et en avait fait des ouvrières, au risque de voir sa femme écrasée sous le fardeau.

Le lendemain du jour où Lucien Marlotte avait obtenu de faire le portrait de Rose, à cinq heures du matin, comme le soleil dorait à peine les cimes des châtaigniers et commençait de fondre les vapeurs de la vallée, l’Henriette, qui déjà, en cornette