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— Aussi l’ai-je pris pour un braconnier, la chasse étant prohibée, dit Lucien.

— Bah ! les gendarmes ne s’occupent même pas de lui. Je vous dis qu’il ne tire jamais. On respecte sa manie comme celle d’un fou. Notez qu’autrefois il était le meilleur chasseur du pays. C’était sa passion ; il dépeuplait tout. Puis, subitement, il n’a plus voulu tirer un seul coup de fusil, et l’on m’a dit qu’il prêchait les gens pour les engager à ne plus manger de viande, afin de ne point tuer les animaux. Il ne vit que de légumes. Enfin, pourquoi fuit-il tout le monde ? On ne lui a rien fait.

— J’avoue que tout est porté à l’excès chez lui, reprit le docteur ; mais Louis de Pontvigail est fort malheureux. Avec une sensibilité très-vive, la contrainte continuelle, le joug de fer que son père fait peser sur lui…

— Il a encore son père ? demanda Cécile.

— Oui, dit M. Darbault, un vieux despote rapace et rusé comme un juif, et encore très-vert. Il n’est pas comme son fils, qui a peur des femmes.

— Louis de Pontvigail, dit le docteur en s’adressant à Cécile, n’a pas quarante ans. »

Des exclamations s’élevèrent du côté d’Agathe, qui s’écria qu’un pareil ours devait avoir au moins cinquante ans.

« Attendez, reprit M. Darbault, je vais vous dire ça au juste. C’était en… dix, quinze, oui, il y a quinze ans que j’ai acheté Colombe au vieux Pontvigail, et son fils tirait à la conscription cette année-là, puisque je me rappelle que le vieil avare me dit en geignant : « Il me faut bien vendre mes pou-