Page:Leo - L Ideal au village.pdf/326

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je comptais, ma foi ! sur moi tout seul pour cela. Je pensais moi aussi que ce devait être pour ma propre déification que le feu sacré serait tombé là, sous mon crâne ; et la vie entière, avec ses découvertes, ses amours, ses devoirs et ses dévouements, m’eût semblé stérile, à moins de cette adoration que devaient me rendre les autres hommes. Toute notre éducation ne nous a-t-elle pas lancés dans cette voie ? Ne nous repait-on pas dès la mamelle de Césars, d’Alexandres, de Michel-Anges, de monarques de tous genres ? Partout le grand homme-statue sur son piédestal. Toujours l’individu, éclatant et superbe, dominant la société muette, ignorée. Puisque la gloire est tout, il nous faut de la gloire, et, ne pouvant être grands, nous nous boursouflons. Et c’est de là que naissent tant de mensonges, tant d’immolations du vrai, du simple, du juste, et toutes ces gênes secrètes dont nous sommes étouffés.

« La gloire ! elle vient à ceux qui, ne la cherchant pas, contemplent un but plus grand, l’idéal lui-même. Eh bien, vois-tu, j’aimerais mieux à présent faire des pots, comme faisait Patrice, que de ressembler plus longtemps à ce Sosie. Je veux abandonner le souci de ma vanité pour la joie d’être utile. Je ferai plutôt des images pour ce grand enfant mal élevé qu’on laisse en dehors de tout, le peuple, et je tâcherai de lui présenter, au lieu de barbouillages immoraux et de fétiches couronnés, sa propre histoire et le beau dans le vrai. Je ne rêverai pas d’avoir du génie, pour conquérir ma part de fumée et d’encens ; mais je m’efforcerai d’avoir du talent pour