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Toute l’estime et toute l’affection qu’elle lui témoignait ; ce regard confiant par lequel, souvent sans parler, elle lui communiquait sa pensée ; l’adorable sourire dont elle l’éblouissait, il eût cru perdre tout cela, s’il avait eu l’imprudence de révéler sa passion.

La nuit, quelquefois, rêvant qu’il s’était trahi, il la voyait le regard irrité, la bouche méprisante, le chassant d’un geste plein de fierté, et il s’évanouissait… ou plutôt se réveillait, baigné d’une sueur froide et dans une souffrance nerveuse extrême. Il lui venait à l’esprit de temps à autre qu’elle se marierait un jour ; mais il n’y savait rien que d’écarter cette pensée, ne la pouvant supporter. Aussi, vivait-il au jour le jour, concentré dans ses joies présentes et les savourant en avare, si loin d’espérer, qu’il se courbait sous la peur de l’avenir.

Louis supporta la présence de Gothon aux Saulées tant que le corps de son père y resta ; mais après l’enterrement, le jour même, il lui ordonna de sortir, en lui remettant la somme de ses gages, plus des titres de créance pour une valeur de plusieurs milliers de francs. Gothon alla s’établir à deux lieues de Loubans, près de sa nièce Christine, fille aînée de Deschamps ; et Rose, qui de son triste sacrifice n’avait recueilli que la honte, éprouvant le besoin de quitter le pays, la suivît dans cet exil.

Louis ensuite avait fait aux pauvres de nombreuses libéralités et s’était occupé d’indemniser secrètement quelques personnes qui avaient eu à se plaindre de son père. Mais ces satisfactions furent bientôt