Page:Leo - L Ideal au village.pdf/279

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il se faisait servir au haut bout de la table avec son fils, et tandis que les travailleurs n’avaient pour pitance que des choux, rarement accompagnés de lard, des haricots ou des pommes de terre, Gothon plaçait devant le maître une volaille fumante ou quelque ragoût à l’appétissante odeur. Peut-être était-ce l’odieux d’une telle différence, étalée avec tant d’impudeur, qui avait porté Louis, plus que son horreur du meurtre, à renoncer à toute nourriture animale.

Il partageait l’ordinaire des travailleurs, et, afin d’éviter de se trouver seul avec son père, il se levait de table avec eux, de même qu’il entrait en leur compagnie. Ce jour-là donc il resta. Les yeux gris et perçants du vieillard se fixèrent sur son fils, comme pour percer le motif de cette nouveauté ; puis il toussa, dit quelques mots d’une voix rude à Gothon, qui desservait, et, s’adressant tout à coup à Louis :

« Dis donc, hein ! sais-tu que tu deviens jeune, depuis que l’amour t’a pris ? Tu ne portes plus ce bonnet qui te donnait l’air d’être mon frère ; tu te requinques, tu deviens freluquet ; n’est-ce pas Gothon ? Hé ! hé ! hé ! c’est bien ; ça ne nuit jamais près des jolies filles. Allons ! peut-être viendra-t-on à bout de faire quelque chose de toi. Quand tu seras marié, que tu auras de la marmaille, j’entends un ou deux tout au plus, tu prendras du goût à l’ouvrage, et tu voudras faire valoir notre bien. Dame ! c’est ton affaire comme la mienne, et il est dur pour moi, qui me fais vieux… Ah ! les enfants ! Enfin, nous verrons ça plus tard ; mais, pour le mariage,