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si vous persistez dans votre folie, répliqua Marius avec dignité. Réfléchissez, Lucien. »

Et le collégien s’éloigna d’un pas cavalier, laissant Lucien comme cloué sur place et furieux au delà de toute expression de ce que la civilisation et la parenté empêchent de battre à son besoin les gens en pleine rue. Resté seul, l’amant de Rose marcha quelque temps au hasard pour se remettre. Tout à coup il eut un de ces élans qu’il devait à sa nature bonne et généreuse autant qu’aux leçons de son père.

« Eh bien ! se dit-il, et mon passé, à moi, m’en a-t-elle demandé compte ? Suis-je raisonnable de rêver un être exempt de faiblesses dans une fille de vingt ans, exposée, avec son inexpérience, aux séductions de l’amour ? Dans cette classe, livrées à elles-mêmes, elles font toutes ainsi et jouent avec l’amour avant de s’engager. Ne pas faillir gravement, dans de telles conditions, n’est-ce pas montrer mille fois plus de force et de vertu que n’en ont les sots qui les condamnent, ou les lâches qui les trahissent ? Voyons, un peu de justice et de calme ; car je ne suis pas de ceux qui se gorgent, comme Marius, d’idées et de phrases toutes faites. »

Il avait beau faire, il éprouvait une âpre souffrance ; car l’amour est un enthousiasme, et toute déception lui est cruelle et funeste. Il parvint cependant à se calmer assez pour qu’il se sentît maître de ses premiers mouvements, et il se rendit chez Mme Delfons.

Rose était seule et elle l’attendait. Au premier regard timide et tendre qu’elle jeta sur lui, il la sentit à moitié pardonnée, tant était vive l’influence