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tion. Mais un pouvoir prudent a répandu contre moi la calomnie ; les uns me montraient au doigt en m’appelant fou ; les autres m’ont jeté des pierres. Ils ont tué ma foi ; mes illusions se sont envolées. Désormais, il n’y a plus de but à ma vie, et je deviendrais puissant que je ne sais pas ce que je ferais.

« Non, le bien par le progrès n’est pas la grande loi ; c’est la destruction par le meurtre. Le meurtre, la violence horrible de l’être sur l’être, la douleur par l’égoïsme, telle est la loi générale à laquelle rien n’échappe en ce monde-ci. Moi-même puis-je marcher sans écraser sous mes pas des milliers de créatures ? Comment éluder cette loi ? où la fuir ? le savez-vous ?

« Il y a pourtant des choses que je sens divines. Mais si Dieu existe, s’il vous a créée, pourquoi a-t-il aussi créé le mal, le mal inconscient, durable, éternel, comme le monde qu’il a conçu et qu’il nourrit par la destruction ? Vous voulez adoucir mon âme et vous l’avez déjà fait, car c’est déjà du bonheur que de vous connaître. Mais vous me dites d’être juste. Qui donc sait l’être ? Qui même le peut ? Où donc est la justice dans le plan des choses ? Et comment l’incarner en ce monde qu’elle n’a point formé ? Ah ! si vous le savez, dites-le-moi, et, fallût-il mourir sur une croix ou m’élancer dans un gouffre, je le ferai.

« Encore une fois, mademoiselle, pardon de cette longue lettre, où vous lirez sans ordre les angoisses de mon triste cœur. Je tremble maintenant d’avoir osé vous l’écrire. Oserai-je vous l’envoyer ? Mais il