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lâches et sans vigueur, qui m’ont délaissé parce que j’étais à terre, et qui se riaient de mes souffrances.

« Une seule, une seule m’a plaint… Elle a été enveloppée dans mon malheur et frappée à cause de moi ! Oh ! vous ne savez pas ce que c’est que la brutale servilité des hommes ! Mon père était le maître ; il ne m’aimait pas ; aussi, tous venaient-ils à sa suite me lâcher leur coup de pied. Ma nourrice et sa fille m’ont secouru, mais avec timidité, craignant de se compromettre et me donnant les plus vils conseils.

« Moi, cependant, je puis vous le dire à vous, à vous seule, j’aurais voulu n’estimer qu’en adorant j’avais besoin d’un amour sans bornes. Tout ce qui me froissait me rejetait glacé, meurtri, dans ma solitude. Oh ! j’étais trop exigeant sans doute, mais j’avais une idée si haute de l’humanité, de ses destinées !… Hélas je ne l’ai plus !

« Pardon encore. Vous parler ainsi, à vous, cela semble un blasphème. Vous habitez sur cette terre, et vos doux regards et votre langage montrent bien que vous vous croyez la sœur de tous ceux qui vous entourent. Non, mademoiselle, quittez cette erreur ; vous êtes une exception sublime, et je bénis le sort de vous avoir rencontrée, car je doutais de toute réalité, et l’histoire elle-même, parfois, ne me semblait plus qu’un rêve, dans la nuit sombre où je me trouvais plongé.

« Oui, ces grandes figures que j’aimais, dont j’osai faire mes amis, à l’âge où l’on croit à l’héroïsme comme à la vie, je me demandais par moments : Est-il bien vrai qu’ils aient existé ? Ne seraient-ils