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sien, et s’il l’eût ruinée, c’eût été en toute innocence et générosité de cœur.

Ils attendirent, lui s’exaltant de plus en plus, elle espérant aussi, mais se demandant parfois comment, en cas de défaite, elle pourrait consoler Lucien. Elle montait fréquemment à l’atelier, contemplait le tableau, cherchait les critiques à faire, et quand son frère lui avait révélé naïvement les beautés de son œuvre, elle embrassait l’artiste et redescendait plus confiante.

Malheureusement le tableau ne fut pas reçu.

Cette année-là, le chœur d’imprécations qui accompagne chaque décision du jury fut à coup sûr, grâce à Lucien, plus sonore et plus rugissant. Il accusa tour à tour l’injustice de ses juges et leur ânerie ; il reconnut l’existence d’un complot formé contre lui. Ses emportements avaient effrayé Cécile ; elle le fut plus encore du dégoût et du marasme qui leur succédèrent. Plus d’une fois il lui sembla voir dans l’œil sombre de son frère des projets sinistres. Lucien, effectivement, doutant de lui-même, songea au suicide. Ce pauvre enfant, qui depuis plusieurs années se croyait une couronne au front, ne pouvait consentir à la perdre sans mourir. Imprégné des traditions de l’école, il ne comprenait à la vie d’autre but que la gloire du peintre. Il en est peu d’ailleurs, parmi nous, qui ne rêvent un sceptre quelque part ; la monarchie, quoi qu’on dise, se porte à merveille : elle est encore et partout l’âme du corps social.

À vingt-six ans, toutefois, la vie est si forte dans l’être, que Lucien se laissa ranimer aux consolations