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enfer. Cet homme ne m’a donné la vie que pour s’en faire une pâture. Il jouit de mes maux !…

— Vous vous trompez, monsieur s’écria Cécile, que cette accusation révolta. Il n’y a pas un homme assez méchant pour agir ainsi vis-à-vis d’un étranger, à plus forte raison un père. Vous différez extrêmement l’un de l’autre ; il ne vous comprend pas ; il est le plus fort, voilà tout.

— Vous ne savez donc pas ce qu’il a fait ? s’écria Louis ; mais si, vous le savez, reprit-il en regardant fixement Cécile, vous le savez, et même c’est vous qui avez dit : « Cet homme a le droit de maudire son père. »

— Sans doute, son action est horrible, dit la jeune fille en frémissant. Mais, ajouta-t-elle en posant doucement sa main sur le bras de Louis, qui s’était avancé près d’elle, il faut, pour juger avec justice, voir dans les hommes ce qu’ils sont, non ce qu’ils doivent être. Pour la plupart d’entre eux, les lois divines n’existent pas ; ils ne reconnaissent que l’usage et l’intérêt. J’ai vu quelquefois mon père, un homme juste et bon, souffrir de cet aveuglement des hommes et de la loi ; il me disait alors : « Sont-ils orgueilleux de leur petitesse ! Parce qu’ils ont rétréci leur cœur, se croient-ils forts ! » Mais, je vous le répète, c’est qu’ils ne savent pas, ne comprennent pas. En les jugeant d’après la vérité qu’ils ignorent, vous êtes aussi injuste pour eux qu’ils le sont pour vous quand ils vous jugent d’après leurs petitesses et leurs calculs. »

Tandis qu’elle parlait ainsi, Louis attachait sur elle un regard ardent, agité. Lucien, qui désirait apaiser