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rées qu’elles fussent, et à partir de ce moment il y avait eu dans son zèle et dans son humeur une baisse prononcée.

Elle se vengeait du moins des restrictions apportées à ses achats, en ajoutant au repas toujours quelque plat de plus que n’avait commandé Cécile. On obtenait de la sorte beaucoup de restes, que Mme Arsène distribuait libéralement aux fermiers.

Sans aucun doute, ces grandes façons procédaient du souvenir de l’homme illustre que Mme Arsène possédait dans sa famille ; ce qui prouve combien il est impossible de prévoir toutes les influences auxquelles on peut être sujet en ce monde. L’esprit du défunt valet de chambre du prince de Lichtenstein régna despotiquement pendant tout un mois sur le budget des Marlotte et leur coûta cher.

Mais le goût des grandeurs est si enivrant pour les âmes bien nées que Mme Arsène en oubliait tout, même ses fatigues. Cinq ou six plats exigent incontestablement plus de peine que deux ou trois ; toutefois, cette personne distinguée ne regrettait rien quand, une serviette sous le bras, en tablier blanc, solennelle et digne comme avait dû l’être son oncle aux soupers du prince de Lichtenstein, elle servait le repas.

Cécile, un soir, était assise dans le jardin, sur un banc de pierre que la lune inondait de ses molles lueurs ; elle regardait au ciel les nuages épars, à travers lesquels çà et là pointaient les étoiles, et se sentait heureuse de ce calme et de ces grandeurs. Au delà des silhouettes paisibles des arbres du verger, se découpaient sous le ciel les cimes de grands