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rût d’envie de savoir le chiffre de sa fortune, elle n’osait le lui demander.

Rose se disait bien en soupirant que M. de Pontvigail était probablement le plus riche des deux ; mais elle pensait ensuite qu’une fortune en terres rapporte si peu ! Un tel homme d’ailleurs permettrait-il à sa femme le moindre plaisir. Puis, il était décidément trop vieux et trop laid.

Elle n’en était pas moins contrariée qu’il ne revînt plus ; car on n’avait pas vu Louis de Pontvigail aux Maurières depuis deux dimanches passés, et cela commençait d’inquiéter le père Deschamps. Rose en éprouvait par orgueil le regret de ne pouvoir le refuser, car d’ailleurs elle n’hésitait pas et ne songeait qu’à Lucien.

Ils redoutaient l’un et l’autre l’achèvement du portrait. Ces deux heures, chaque matin, passaient enchantées. Le regard de Lucien, tendrement attaché sur elle, et plein d’admiration, d’enthousiasme et de doux serments, pénétrait d’émotion le cœur de Rose et la faisait délicieusement rêver tout le jour. Ce n’était point par la réflexion, mais seulement par l’amour, que cette jeune fille pouvait être initiée à un ordre moral plus élevé que celui où elle était née.

Elle s’élevait déjà en aimant — car jusque-là elle n’avait rêvé que d’être adorée ; — elle s’élevait par le désir de comprendre son amant et de s’égaler à lui. Elle était donc avec lui naïve, humble, sincère, vraiment charmante, et Lucien pouvait l’aimer sans aveuglement et sans folie. Mais, trop amoureux pour ne pas avoir une confiance entière et pour ne