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enseigna aux débarqués l’usage de cette étrange échelle ; ils se hissèrent jusqu’à la crête des rochers et Georges, malgré sa corpulence, eut bientôt rejoint ses compagnons sur le plateau de Biville.

Le village était distant de six cents pas au plus ; on eût pu s’arrêter à une chaumière isolée où l’on était attendu ; il ne sembla pas qu’on y fît halte, par crainte des douaniers en rondes de nuit ; il fallait sortir au plus tôt du rayon de leur surveillance, et, sous la conduite du jeune Troche, fils de l’horloger de la ville d’Eu, on gagna Guilmécourt, qui est à une petite lieue de Biville. Puis, par un vallon désert, on atteignit l’Yères, qu’on passa à la Maladrerie pour se diriger, par Heudelimont et Saint-Rémy, vers la forêt d’Eu, où l’on trouverait, à la ferme de La Poterie, le premier refuge. Sept lieues de route.

Marche harassante et silencieuse dans la nuit. De toutes les émotions qu’éprouvaient, en ces temps troublés, les émigrés rentrant clandestinement en France, celles du débarquement étaient, au dire des plus braves, particulièrement redoutées et angoissantes. L’impression de se sentir étranger sur la terre natale ; l’affreuse obsession qu’on n’y pourra vivre qu’en intrus, pourchassé comme un malfaiteur ; la contrainte de surveiller ses paroles, ses gestes, ses regards, ses pas, ses allures ; l’incessante appréhension du péril de mort qui peut naître du moindre incident,