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qualités et propriétés. La pensée me fit consciente de l’affection, la joie et toutes les émotions. Je fus impatiente de savoir, puis de comprendre, ensuite de réfléchir sur ce que je savais et comprenais, et l’aveugle impétuosité qui m’avait d’abord conduite ici et là, à la dictée de mes sentiments, s’évanouit pour toujours. Je ne peux pas représenter plus clairement que personne autre les graduels et subtils changements des premières impressions aux idées abstraites. Mais je sais que mes idées physiques, c’est-à-dire mes idées dérivées des objets matériels, m’apparaissent d’abord en idées similaires à celles du toucher. Instantanément elles passent en significations intellectuelles. Ensuite la signification trouve son expression dans ce qu’on appelle « la parole intérieure ». Quand j’étais enfant, ma parole intérieure était un épèlement intérieur. Bien que je sois fréquemment prise encore maintenant, m’épelant à moi-même avec mes doigts, cependant je me parle aussi avec mes lèvres et il est vrai que, dès que j’appris à parler, mon esprit rejeta les symboles manuels et commença d’articuler. Cependant, quand j’essaie de me rappeler ce qui m’a été dit, je suis consciente d’une main épelant dans la mienne.

Une conséquence inattendue de son réveil mental est ce qu’elle a appelé « le monde en vie ».

On m’a souvent demandé ce que furent mes premières impressions du monde où je me trouvais. Mais ceux qui pensent un peu à leurs premières impressions savent de quelle énigme il s’agit. Nos impressions croissent et changent à notre insu ; ce que nous supposons avoir pensé enfants peut être tout à fait différent de ce que nous avons réellement éprouvé dans notre enfance. Je sais seulement que, lorsque mon éducation eut commencé, le monde qui parvint à mon atteinte fut tout en vie. Je parlais par signe à mes jouets et à mes chiens… Il se passa des années avant qu’on pût me persuader que mes chiens ne comprenaient pas ce que je disais et je m’excusais toujours quand je courais ou marchais sur eux.

Lorsque mon expérience s’élargit et s’approfondit, les sentiments poétiques et indéterminés de l’enfance commencèrent à se fixer en pensées définies. La nature — le monde que je pouvais toucher — était enveloppée et remplie de moi. J’incline à croire ces philosophes qui déclarent que nous ne connaissons rien que nos sentiments et nos idées. À l’aide de quelque raisonnement ingénieux, on peut voir dans le monde matériel simplement un miroir, une image des sensations mentales permanentes. En toute sphère, la connaissance de soi est la condition et la limite de notre conscience.

Chose encore à noter, ce monde vivant, ces choses à qui