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sont compris par des analogies entre les concepts immatériels et les idées qu’ils éveillent des choses externes. La force de l’association m’entraîne à dire que le blanc est pur, exalté, le vert exubérant, le rouge suggère l’amour ou la honte, ou la force ; sans la couleur ou son équivalent, la vie me serait sombre, aride, un vaste néant.

Ainsi par une loi intérieure d’achèvement, il n’est pas permis à mes pensées de demeurer incolores. Il me faut un effort de l’esprit pour séparer des objets la couleur et le son. Dès que mon éducation commença, les choses me furent toujours décrites avec leurs couleurs et leurs sons par quelqu’un ayant des sens aiguisés et un sentiment raffiné de la signification. Par conséquent, je pense habituellement aux choses en tant que colorées et sonores. L’habitude compte pour une part. Le sens de l’âme compte pour une autre part. Le cerveau avec sa construction pour cinq sens affirme son droit et compte pour le reste.

Car ce dernier point est la thèse d’Helen Keller, elle la défend avec vivacité, non cependant sans une certaine résignation désinvolte à ce qui ne peut être démontré.

L’enfant aveugle, dit-elle, l’enfant sourd-aveugle a hérité de l’esprit d’ancêtres voyants et entendants un esprit fait à la mesure de cinq sens. Donc il doit être influencé, que ce soit même à son insu, par la lumière, la couleur, le son transmis par le langage qu’on lui enseigne, car les cellules du cerveau sont prêtes à recevoir ce langage. Le cerveau de la race est tellement imprégné de couleur qu’il teinte même le langage de l’aveugle. Chaque objet auquel je pense est teint de la nuance qui lui appartient par l’association et la mémoire. L’expérience du sourd-aveugle dans un monde de voyants et d’entendants est pareille à celle du matelot dans une île dont les habitants parlent une langue qui lui est inconnue, dont la vie n’est pas celle qu’il a vécue. Il est un, ils sont plusieurs ; il n’y a nulle chance de compromis. Il doit apprendre à voir avec leurs yeux, à entendre avec leurs oreilles, à penser avec leurs pensées, à suivre leurs idéals.

Si l’obscur monde silencieux qui l’entoure était essentiellement différent du monde sonore, éclairé du soleil, il serait incompréhensible à ses pareils et ne pourrait jamais être discuté. Si ses sentiments et sensations étaient fondamentalement différents de ceux des autres, ils seraient inconcevables, excepté à ceux qui auraient des sensations et des sentiments similaires. Si la conscience mentale du sourd-aveugle était absolument différente de celle de ses semblables, il n’aurait aucun moyen d’imaginer ce qu’ils pensent. Puisque l’esprit de celui qui n’a pas la vue est essentiellement le même que celui du voyant, en cela qu’il n’admet point de lacune, il doit suppléer par quelque