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qui sautent et le grincement terrifiant du roc sur le roc qui précède l’écroulement, toutes ces choses sont tombées sous l’expérience de mon toucher et contribuent à ma notion de Bedlam, d’une bataille, d’une trombe, d’un tremblement de terre et de toute autre énorme accumulation de bruits.

Le toucher me met en contact avec le trafic et l’activité multiple de la ville. Sans parler du mouvement et de l’encombrement de la foule, des indescriptibles grincements et hurlements électriques de la rue, je suis consciente des exhalaisons émanant de différentes boutiques ; des automobiles, camions, chevaux, éventaires de fruits et des nombreuses variétés de fumées.

La cité est intéressante, mais le silence tactuel de la campagne est toujours le bienvenu après le fracas de la ville et les irritantes secousses du train. Combien silencieuses et sans troubles sont les destructions, les réparations et les altérations de la nature ! Avec nul bruit de marteau, ou de scie, ou de pierre séparée de la pierre, mais avec une musique de bruissements et de chutes mûres sur le gazon, viennent à terre les feuilles et les fruits que le vent chasse des branches. Silencieusement tout tombe, tout se fane, tout est reversé à la terre afin qu’elle puisse recréer ; tout dort, tandis que les architectes actifs du jour et de la nuit accomplissent ailleurs leur silencieux travail. Même sérénité quand tout à coup le sol cède à la lumière une création nouvellement élaborée.

Mais cette remarquable suppléance fait totalement défaut pour un autre organe. La vue est la fonction la plus isolée, vers laquelle il n’y a pas de degrés dans notre sensibilité ; avec une intuition merveilleuse, elle a découvert que les phénomènes intellectuels lui fourniraient encore la meilleure analogie, en tenant compte, cependant, de certaines données, apportées par l’odorat.

Les sensations du toucher sont permanentes et définies, les odeurs varient et sont fugitives, elles changent de nuance, de degré et de place. Il y a quelque chose encore dans une odeur qui me donne une impression de distance. Je dirais d’horizon — la ligne ou l’odeur et l’imagination se rencontrent à l’extrême limite de l’odorat.

L’odorat me renseigne plus que le toucher et le goût sur la manière dont l’ouïe et la vue s’acquittent probablement de leurs fonctions. Le toucher semble résider dans l’objet touché, parce qu’il y a contact de surfaces. Dans l’odorat, il n’y a aucune notion d’intermédiaire et l’odeur semble résider, non dans l’objet senti, mais dans l’organe. Puisque je sens un arbre à distance, il est compréhensible pour moi qu’une personne voit cet arbre sans le toucher. Je ne suis pas intri-