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tude qu’elle en fait est curieuse par la révélation d’une suppléance presque totale de l’ouïe, on ne peut même pas dire à la parole près, puisqu’elle a appris la voix et l’articulation au toucher, pas même à la musique près, puisque celle-ci est le règne des vibrations, à la mélodie près, sans doute, encore miss Keller observe-t-elle : « Je ne suis jamais arrivée à distinguer une composition d’une autre. Je crois que c’est possible. Mais la concentration et le surmenage de l’attention seraient si grands que je doute que le plaisir puisse être proportionnel à l’effort. »

Voici la description exacte de ce monde de la vibration, le plus inséparablement lié à la vie. Miss Keller nous parle d’abord de l’ébranlement des pas, auquel elle reconnaît l’âge, l’humeur et le sexe de celui qui marche :

Je sens en eux la fermeté, la décision, la hâte, la réflexion, l’activité, la paresse, la fatigue, l’insouciance, la timidité, la colère et le chagrin. Je perçois très clairement ces dispositions chez les personnes qui me sont familières.

Les pas sont fréquemment interrompus par certaines vibrations et saccades, de sorte que je sais quand on s’agenouille, frappe du pied, remue quelque chose, quand on s’assied, quand on se lève. Ainsi je peux suivre jusqu’à un certain point les mouvements de ceux qui m’entourent et leurs changements d’attitude. À l’instant, un léger, un confus piétinement de pieds nus et ouatés m’apprend que mon chien a sauté sur la chaise pour regarder à la fenêtre, ce que je ne lui permets pas sans investigation, car, à l’occasion, il m’arrive de sentir le même mouvement et je le trouve non sur la chaise, mais frauduleusement sur le sofa.

Quand un menuisier travaille dans la maison ou dans la ferme à côté, je sais par la vibration dentelée, oblique, de haut en bas, la résonnante percussion des coups sur les coups, qu’il emploie la scie ou le marteau. Si je suis assez rapprochée, une certaine vibration promenée le long d’une surface de bois m’instruit de fait qu’il est en train de raboter.

Un léger froissement sur le tapis m’apprend qu’un courant d’air a fait envoler mes papiers. Un coup net est le signal qu’un crayon a roulé par terre. Si un livre tombe, il rend un flaquement plat. Le rappel d’un bâton sur la balustrade annonce que le dîner est servi. La plupart de ces vibrations sont oblitérées en plein air. Sur une pelouse ou sur une route, je sens seulement une course, un pas lourd et le passage des roues.

En plaçant ma main sur les lèvres et la gorge d’une personne, je