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tenace d’être le chasseur de ces rôdeurs de l’ombre entrait en lui.

Chasser, c’était avoir un fusil. Sa cervelle avait gardé le retentissement des coups de feu entendus à l’époque des battues ; et, une fois, il avait vu rouler deux lapins sous une même décharge. Cela lui remuait les moëlles comme une volupté, qu’un canon de fusil contînt l’anéantissement de ce qui est la vie. Et, en attendant, il se servait d’une fronde qu’il avait fabriquée et dont il jouait avec une sûreté implacable ; son bras nerveux imprimait une secousse rude à la machine qui tournait, ronflait, lançait la pierre droit au but ; puis la bête s’abattait ; un spasme tordait son échine et il avait une palpitation d’aise à la voir ruer, baver, mordre l’air de la pointe de ses dents, s’allonger enfin d’un grand étirement qui avait déjà la forme du cadavre. Il tuait ainsi les belettes, les putois, les mulots, les lapins, les lièvres.

Un jour, il avait failli atteindre au front un chevreuil ; mais la bête s’était alertement dérobée en se jetant d’un bond sur le côté ; la pierre était allée frapper un arbre d’un coup terrible, qui avait secoué les feuilles. Et l’enfant était resté pâle, les bras ouverts, sous l’émotion de cette magnifique robe brune et de ce corps bondissant, d’une grâce fuyante.

Son désir d’avoir un fusil se réalisa enfin. Ne pouvant l’acquérir, il le déroba. Un paysan qui leur achetait du bois l’hiver, possédait une carabine, pendue tout le jour à un crochet, dans l’angle de la cheminée. Il se cacha derrière une haie, attendit la sortie de l’homme et s’empara du fusil.

Ce fut une joie pleine de surprise. Il le tourna, le regarda par en haut, par en bas, la gorge battante, émerveillé, et tout à coup, comme il pressait la détente sans le savoir, la charge d’un des canons partit