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seulement qu’elle était gardée à vue par les siens, et petit à petit user ce cœur sauvage, de crainte d’un éclat.

— Bon là ! Bon là, l’avocat ! s’écria la commère, en biglant, l’suc est fait pour les mouches.

Elle s’en alla, le cabas bondé, marmottant entre ses dents des actions de grâces ; et bien après qu’elle eût dépassé la porte, sa voix s’entendait encore, traînante et nazillarde. Germaine la vit clopiner sur le chemin dans le poudroiement de la lumière ; et pas à pas, cette silhouette boîteuse décrut au loin, derrière les blés. Elle en eut une délivrance. Il lui paraissait qu’un danger s’en allait avec la vieille coquine.

Cougnole s’engagea dans la forêt. Comme un ressort qui s’allonge, ses jambes tout à l’heure traînantes se détendaient à présent, scandaient le chemin de larges coups de talons ; c’est à peine si elle s’aidait de son bâton. Des sentiers s’enfilaient les uns aux autres, grimpant les pentes, contournant les bossèlements, longeant les ravines, dans la clarté verte des végétations. Elle n’était pas gênée par les accidents du sol et gaillardement attaquait les montées, trottait aux descentes, enjambait le lit des ruisseaux taris par le soleil. Ce n’était pas la direction qu’elle suivait d’habitude pour rentrer chez elle ; au contraire, le chemin l’écartait de près d’une lieue, mais elle avait son plan.

La forêt s’achevait en taillis disséminés sur un large espace, au milieu d’un broussaillement de bruyères. Le soleil ardait là comme une fournaise, séchant les racines, qui craquaient sous le soulier de Cougnole. Le silence était profond, interrompu seulement par le stridement des sauterelles. Et les arbustes se dressaient immobiles, sous le midi implacable qui les grillait et tout autour d’eux fendillait la terre de larges gerçures. La vieille tira