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violence, elle ne savait pas bien quoi ni pourquoi. Mais cette peur se dissipa lorsqu’ils eurent dépassé les maisons. Alors, gagnée par des rêveries, elle se renversa sur la banquette, pensa à des choses vagues qui avaient la douceur du matin dans les bois.

On suivait la grand’route pendant près de deux heures, puis on prenait un embranchement de chaussée à travers les campagnes ; cet embranchement menait à la ferme des Hayot. Ils roulaient dans un demi-jour sombre, ayant à chaque côté du chemin des épaisseurs touffues d’arbres. Par moments, une allée débouchait sur le pavé, éclairée d’une lumière intense dans les fonds. C’était comme un éblouissement. Et de nouveau la ligne des bois se reformait, avec ses densités profondes et ses larges épanchements de verdures. Une fraîcheur montait des taillis humides, où les rosées faisaient paraître grises les végétations, avec des luisants froids d’acier. Et cette fraîcheur exhalait des senteurs de fermentation, robustes et saines. Au-dessus de la route, le ciel bleu saphir s’apercevait entre les arbres, se rétrécissant dans l’éloignement.

Le cheval allongeait son trot, allègrement, ralentissant de lui-même aux montées, la tête ballante alors, avec des airs de flânerie. Les mouches commençant à le taquiner, il les fouettait de sa queue, plissait sa peau ou tournait la tête d’un mouvement brusque, tâchant de les attraper d’un coup de sa grosse langue. La montée gravie, Mathieu lançait un hue ! et l’ardennais repartait de son pas court et ferme. Ses fers battaient le pavé d’un cliquetis égal qui se mêlait au roulement sourd des roues de la voiture. On ne se pressait pas, du reste, étant sûr d’arriver avant la chaleur. Et ils se laissaient bercer aux cadences des ressorts, secoués tous deux, à travers un engourdissement léger qui les empêchait de parler.

Ils quittèrent la grand’route, attaquèrent la chaussée.