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nir. Germaine allant même jusqu’à escompter les chances de succession. Elle aurait le bien de sa mère, d’ailleurs.

— La maison du garde, tu sais bien…

Il trouvait cela drôle que lui, Cachaprès, irait un jour habiter la demeure d’un garde ; ça ne se serait jamais vu, et il en riait de son large rire bon enfant.

Un peu de chimère se glissait ainsi dans leurs entretiens, leur faisant les heures plus belles. Et le moment de se quitter les surprenait comme un accablement. Ces deux natures rudes se fondaient alors dans une effusion d’adieux tendres, de longs et interminables baisers.

Elle partie, Cachaprès s’évadait du côté des taillis, évitant d’être vu ; et de loin elle voyait sa haute stature s’amincir dans une fuite rapide.

Il attendait quelquefois, sous les feuilles, la tombée du jour. Lentement la braise rouge du couchant s’éteignait, fumante, dans le crépuscule froid ; et, songeur, l’âme et les sens caressés par l’odeur de la chair aimée, il se rabattait vers la hutte des Duc, pour y dormir son grand sommeil.

La bûcheronne ne le questionnait jamais ; elle semblait l’accepter comme elle acceptait la tempête, le manque de pain, l’occasion, sans raisonner, avec une fatalité inconsciente. Pourtant, au fond, elle était un peu troublée par le détraquement survenu dans les habitudes du gaillard ; il n’était plus le même. Mais elle se serait laissé couper le pouce sur le billot plutôt que de desserrer les mâchoires : il avait un secret, sûrement.

Un jour, il l’envoya à la ville demander une avance d’argent à Bayole. Le marchand fit l’avance, avec des plaintes infinies qu’on ne pût pas mieux compter sur le gibier. Elle noua les ronds dans un angle de son mouchoir de cou, et la route décrut rapidement sous ses arpentées longues comme celles d’une bête au trot.