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Il lui parlait des bois ; c’était la vraie vie de courir librement dans la sauvagerie de la terre ; il y en avait pas d’autre. Lui n’aurait pas troqué pour une ferme. Il n’aimait pas la régularité du travail, les occupations graves du paysan vivant de ses arpents de culture, et il le comparait au bœuf dans son sillon. Puis il s’étendait sur les plaisirs de son métier ; rien ne valait une belle prise, un bon tour aux gardes, le qui-vive permanent du braconnier aux aguets. Il aimait les coups de fusil, l’odeur de la poudre, le petit claquement sec de la détente. Sûrement il se serait fait soldat, s’il y avait eu une guerre. Se battre, à la bonne heure !

Elle l’écoutait, admirant ses gasconnades ; et une envie de lui ressembler la gagnait. Elle regrettait presque sa richesse de fermière ; pauvre, elle aurait couru dans les bois avec lui, et ils auraient vécu des métiers farouches de la terre, à deux. Il la regardait longuement alors, disant :

— T’as pas de cœur, vois-tu, sans ça…

Une fois, il lui parla de la P’tite aux Duc. Bien pour celle-là de rouler avec lui ! mais il ne l’aimait pas ; elle était pour lui comme une sœur plus jeune. Oh ! si ç’avait été Germaine ! Et celle-ci fronçait les sourcils, un peu jalouse de cette enfant que rien ne retenait. Elle finissait par secouer la tête ou hausser les épaules, devant ce rêve de partager sa vie qui ne se réaliserait jamais.

Elle en caressait un autre alors, c’est qu’il renonçât à ses trafics ; une barrière après tout pour tous deux ; et elle substituait à son existence vagabonde une existence de fermier, sérieuse et posée. Il aurait un cheval ; il braconnerait tout de même. Bien des fermiers sont braconniers.

— Comme ça, je ne dis pas, faisait-il, rêveur.

Mais le tout était d’y arriver. Et ils spéculaient sur l’ave-