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cohue de toute sa taille, et une comparaison se fit dans son esprit immédiatement. Il était bien plus fort qu’eux tous : cela était visible. Et plus grand. Et mieux bâti. Il n’avait qu’à remuer les coudes pour les écarter. Et il arriva à elle, le sourcil irrité. Il lui prit le bras.

— Germaine !

Elle le regarda.

Il frappa son cœur d’un coup de poing et une moiteur perla dans ses yeux.

— J’vivais plus, depuis ce matin, fit-il. À présent, j’vis, puisque t’es là.

Elle fut touchée du cri.

Il avait mis sa fameuse veste, celle dont il lui avait parlé ; elle était de velours brun, à côtes. Le gilet et le pantalon étaient d’étoffe pareille. Et un col de chemise très blanc retombait sur un nœud de cravate vert, éclatant. Son torse carré se dessinait sous l’étoffe avec puissance, faisant bomber les pectoraux. Et comme les gens habitués aux besognes corporelles, il portait son costume avec une aisance incomparable.

Germaine fut reprise de la pensée que les autres hommes étaient bien étriqués comparés à lui, et machinalement elle regarda devant elle les dos bombés, les ventres débridés, le flottement des habits sur les épaules en biseau. Un chapeau de feutre mou, posé en travers sur ses cheveux noirs, lui donnait une crânerie martiale.

La cohue, tassée, incapable d’avancer, sautait sur place. Des têtes vacillaient, on ne voyait que des bouts d’épaules remuant, et un énorme battement de pieds faisait trembler le plancher.

— À nous deux ! dit-il.

D’un geste rapide, il lui prit la main, mit la sienne sur sa taille, et l’entraîna. Elle n’eut pas même l’idée de résister. Le large courant de sa force l’emportait, et subite-