Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hommes en spikelaus, selon la fortune de chacun.

— « Ah ! dit-il soulagé, ce sont des pères et des mères qui vont aux boutiques. » Cependant les tristes réverbères, pareils à des porteurs de cierges, à présent semblent se donner la chasse par les quais ; leurs petites flammes courent en tous sens, se croisent, ont l’air de gros papillons de nuit. — « J’ai la berlue, — ainsi dit-il ; sûrement il n’y a de papillons que dans ma tête.

Tout à coup il a entendu des voix. On crie, on appelle, on se lamente. Des torches vont et viennent le long de la rive, avec de rouges lueurs, que le vent secoue comme des lanières, parmi des tourbillons de fumée. Et dans le tremblement des feux, Dolf distingue des silhouettes qui se démènent, et d’autres se penchent sur le fleuve, sombre comme un puits.

Alors tout s’explique : les réverbères n’ont pas bougé de place ; mais il a été induit en erreur par les falots errants.

— Cherchons Dolf Jeffers, crient deux hommes. Il n’y a que lui qui soit capable d’en venir à bout.

— Voici Dolf Jeffers, répond aussitôt le brave garçon, que lui voulez-vous ?

Il les reconnaît à présent : ce sont ses amis, ses frères de misère et de peine, des bateliers comme lui. Tous l’entourent en gesticulant, et un vieux, ridé comme une plie sèche, frappe sur son épaule et dit :

— Dolf, au nom de Dieu ! Un chrétien se noie. Au secours ! Il n’est peut-être plus temps. Habits bas, Dolf !

Dolf regarde l’eau, les falots, la nuit qui est sur sa tête et les hommes qui le caressent de leurs mains.

— Compagnons, s’écrie-t-il, devant Dieu, je ne puis. Riekje est dans les maux et je ne suis pas maître de ma vie.