Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/337

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et que j’aie eu le sort d’une folle dans ce monde, puisque tu es là, toi, que je te revois, que je te tiens contre moi, que ce sont bien tes pieds, tes mains, tes bras, que c’est toi, enfin. Toi ! Et que je puis te le dire à toi-même ! Toi ! c’est comme un fruit savoureux pour une bouche qui a soif ! Non, je ne puis pas te dire ce qui se passe en moi.

De temps à autre elle posait une main sur son cœur ou ses deux mains, et alors elle devenait pâle.

— Ah ! ne me le cache pas, Clotilde, disait tristement Lisbeth, je le vois bien présent, c’est là que tu souffres !

Clotilde souriait, un triste sourire, Stéphane, et répondait :

— Oui, un peu, ce n’est rien. C’est la joie, la peur, le saisissement. Et puis cela tourne tout à coup, tu sais, comme une roue. Mais si c’est là que j’ai mal, Élisabeth, un peu mal, pas beaucoup, c’est aussi là que j’aime, que je t’aime, que je sens le bonheur de te revoir, de causer de toi avec toi, et d’être sous ta main, comme ta petite chose. Toute ma vie est à présent là, et plus il bat, plus je sens qu’il est content de battre. Et puis, pourquoi parler de cela ? Il n’y a que toi ici. Moi, ce n’est plus moi, c’est encore toi, sais-tu ?

» Elles parlaient ensemble du passé, mais du passé joyeux, du temps où elles allaient à l’école. Lisbeth ne fit pas une allusion aux huit années que sa sœur avait vécues à Paris, mais quelquefois elles se représentaient à la mémoire de Clotilde et il en perçait quelque chose dans ce qu’elle disait. À présent, toutes deux se souriaient, riaient. Il y avait des moments où Lisbeth disait : « vous, » et Clotilde alors la reprenait doucement :

— Dis-moi « tu » toujours.