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— C’est bien elle, disait-elle entre ses dents. Oui, je la vois comme si elle était là. Sainte et chère sœur !

Elle fixait sur la pendule son petit œil couleur d’étain, en cillant.

— C’est incroyable comme l’heure est lente. Elle ne viendra donc jamais !

Je remarquai que ses narines battaient d’un petit mouvement égal et continu, chaque fois qu’elle respirait ; et sa sèche poitrine se soulevait sous son corsage, avec force.

— Un peu de patience, lui disait ma tante.

— Oui, ma bonne Thérèse, de la patience. J’ai peur et je voudrais y être déjà. Huit ans sans la voir ! Non, je ne pouvais plus vivre sans la serrer dans mes bras.

Puis elle embrassait sa vieille amie dans la nuque et lui disait :

— Ah ! ma chérie, je vous ai toujours aimée comme une sœur. Non, après Élisabeth, il n’y a personne que j’ai plus aimée que vous.

— Ta, ta, ta, restons calme, faisait ma tante en se mouchant pour surmonter son attendrissement.

Clotilde souriait alors :

— Calme, ma pauvre amie ! Oui, soyons calme. Après huit ans, j’ai bien le droit d’être un peu calme près de vous deux.

À la demie, ma tante me renvoya.

— Tiens, me dit madame Clotilde, garde ça en souvenir de moi, cher enfant.

Et elle me tendit un petit carnet d’ivoire garni d’un crayon d’or ; mais tout à coup, me retirant des mains le carnet, elle le refourra dans sa poche et me laissa seulement le crayon.

— Un carnet ? On ne sait pas, murmurait-elle, toute tremblante. On écrit quelquefois des choses…